Dernier jour. Nous n’avons pas bouclé le TMB mais nous n’avions que sept jours et nous avons prévu de le finir plus tard dans l’année ou l’année prochaine. Il n’empêche, ce matin n’est pas tout à fait le même que les autres. Il y a beaucoup de monde qui se prépare au relais d’Arpette, beaucoup de bruit alors que nous sommes plutôt calmes. Le petit déjeuner s’est déroulé tranquillement avec en point de mire cette vallée rocheuse qui nous mènera à notre but.

Dernier départ
J’avale une poignée de noisettes avant le départ. Je sens que je vais avoir besoin d’énergie. Je ne ne suis pas particulièrement bavard quand je marche et je ne pars jamais en discutant dès les premiers mètres. Je suis plutôt dans la concentration et dans la mesure des kilomètres et du dénivelé qui m’attend, mais ce matin, le silence est un peu plus silencieux encore. Seules nos semelles grattent le sol. Le premier kilomètre se fait assez facilement et nous gagnons vite 500 D+. Puis le chemin prend un angle et le décor change.
Zone de chaos
De gros blocs parsèment l’itinéraire et certains sont incontournables. Nous sommes dans la zone d’éboulis des crêtes qui nous entourent et le sentier est tracé péniblement dans ce champs de cailloux. Je passe de bloc en bloc en sollicitant mes genoux et mes cuisses qui se rappellent soudain que cela fait une semaine qu’ils sont à l’œuvre plus intensément que d’habitude. Les marches rocheuses se font de plus en plus hautes. Quelques mètres plus calmes me permettent de rejoindre mes camarades qui ne semblent pas avoir de problème à progresser dans ces conditions. Ils ont pris une petite pause pour vider un peu leur gourde et profitent du soleil. J’arrive pratiquement à genoux et j’ouvre fébrilement ma poche à noisettes. Il me faut un petit plus énergétique et je sors les graines de goji. Les graines de goji sont le secret du randonneur qui cherche à piocher dans ses dernières réserves. Elles ont très certainement un effet bénéfique lors de l’effort mais elles ont aussi la capacité à coller aux dents d’une manière imbattable. S’en débarrasser occupe suffisamment l’esprit pour que pendant un temps, on oublie qu’on est en train d’en baver dans la pente ! C’est exactement ce qu’il me faut à l’instant où je reprends ma route.
Pourquoi ?
Les blocs sont énormes et je navigue à vue entre cairns et vestiges de traces de peinture. Je suis souvent obligé de m’aider de mes mains. Parfois même je dois redescendre quelques mètres pour changer de parcours car je suis bloqué par la hauteur d’un bloc ou parce que je ne peux pas faire l’enjambée nécessaire pour passer au suivant. Le sommet semble s’éloigner à chaque pas. Je vois mes trois compères qui avancent à un bon rythme. Quelques gros mots me viennent à l’esprit mais j’arrive encore à les contenir. Je me concentre sur mes pas.
Je croise deux hommes qui descendent. Le plus âgé me lance « I hate those rocks ! ». Je ne peux qu’être d’accord mais je continue. De toutes manières ma voiture est à Trient. J’envisage la Rega ou je ne sais quel moyen détourné pour me sortir de là. Encore une marche, puis une autre. Le soleil tape fort à l’approche du sommet. Il n’y a pas un souffle d’air. Les quelques derniers lacets qui me paraissaient évidents depuis le bas disparaissent dans un fouillis de traces qui se croisent et essayent de me décourager mais je progresse.

Mais pourquoi, hein ?!
J’aperçois mes collègues qui sont arrivés depuis de longues minutes et j’avoue aujourd’hui que mes pensées à leur égard n’ont pas été des plus amicales à ce moment là ! Je débouche au sommet en les invectivant tant que je peux. La Fenêtre d’Arpette est là. Elle porte bien son nom. C’est un minuscule passage entre les arrêtes aiguisées qui nous entourent. Côté Trient on la distingue à peine tant elle ressemble à un petit accroc insignifiant sur l’arête. Mais lorsque l’on monte par cet amoncellement de rochers qui a été notre chemin ce matin l’effet en arrivant est saisissant. Le paysage s’ouvre sur le glacier de Trient à gauche et la vallée qui s’étale à nos pieds et là d’un coup tu comprends pour quelle raison tu décides d’en baver des heures pour monter sur un tas de cailloux. Le décor est gigantesque et te donne l’impression d’être posé sur des montagnes d’énergie brute qui dépassent ce que l’on peut imaginer. Le chaos qui a mené à la création de ces vallées et de ces arêtes est à peine imaginable et la taille des blocs qui sont posés là permettent à peine de deviner les forces mises en œuvre.

Fenêtre avec vue
Nous nous posons dans cet arrêt sur image pour prendre notre repas de midi. Nous parlons peu. Il n’y a que quelques autres personnes ici mais on distingue des groupes qui montent depuis le côté Trient sous ce soleil de plomb. Nous savons que notre descente va être longue et difficile, même si le sentier est plus praticable. La pente est accentuée pendant de nombreux kilomètres et nous devons perdre 1400 mètres de dénivelé pour rejoindre la voiture. Toutes les douleurs que mon corps m’a épargné pendant ces jours semblent se réveiller doucement pour me présenter la facture. J’entreprends tranquillement la descente. Je remercie encore la gardienne du refuge de Tré la Tête de m’avoir donné de quoi réparer mon bâton. Ils me sont indispensables pour amortir ce que mes genoux ne peuvent plus encaisser. Nous croisons de nombreux groupes. Il va y avoir du monde à la fenêtre cet après-midi !!
Frein de parcours

Tranquillement la descente se fait plus douce. Nous nous retournons souvent pour contempler le glacier. Comme ceux que nous avons vu jusque là il souffre de la chaleur. Des cascades dévalent des rochers qui n’avaient connu que la glace pendant des millions d’années.
Nous arrivons à la buvette du glacier qui a gardé ce nom même si le glacier est bien loin désormais. Difficile d’imaginer qu’à la fin du XIXème siècle plus de 20 tonnes de glace étaient extraites quotidiennement d’ici.
Après une petite collation, nous rejoignons la route qui nous mènera à Trient. Nous plaisantons et nous nous félicitons d’avoir réussi notre aventure. Nous pressons le pas car nous avons décidé de debriefer notre Tour dans une brasserie de Chamonix. L’idée des hamburgers commence à creuser sérieusement nos estomacs. Nous traversons Trient en regardant les bivouacs. Peut-être certains randonneurs partent-ils pour le même périple que nous.
Ma voiture est là.
Notre Tour du Mont-Blanc est fini.
Chose promise chose due
Je ne peux que conseiller de se lancer dans cette aventure. Un trek de plusieurs jour est une aventure unique. J’ai eu la chance de la vivre avec des personnes extra.
Voici donc les tracés de nos sept étapes :
1 – « Top départ » (Les Houches – Tré la Tête)
2 – « Mon petit bonhomme de chemin » (Tré la Tête – Col de la Croix du bonhomme)
3 – « À tous les petits garçons » (Col de la Croix du bonhomme – Refuge Elisabetta Soldini)
4 – « Va pensiero » (Refuge Elisabetta Soldini – Refuge Bertone)
5 – « Hop Swiss » (Refuge Bertone – La Peule)
6 – « Ne passons pas à côté des choses simples » (La Peule – L’Arpette)
7 – « Rentrer par la fenêtre » (L’Arpette – Eglise de Trient)