Ce 24 juin je me lève tout contrarié. Contrairement aux week-end précédents je n’ai pas préparé de sortie montagne. J’ai mal dormi, il est tard, l’envie n’est pas là. Assis au bord du lit j’évite de regarder mon sac à dos de peur de le sentir me reprocher son inactivité. Sans même y penser, mon esprit cherche quand-même une balade à faire parce que le TMB, c’est dans un mois ! Elle doit être proche car je n’ai pas envie de faire de la route. Elle doit être rapide parce qu’il est déjà tard. J’ai fait Le Moléson et Teysachaud. Je peux tourner autour du pot 2 heures, il ne me reste que la Dent de Lys…
Dent de lait
Tout habitant de Châtel-Saint-Denis qui s’intéresse un peu au paysage connaît la Dent de Lys. Ce sommet est omniprésent dès qu’on regarde vers l’Est. Sa réputation n’est plus à faire. Googliser « Dent de Lys » c’est être sûr de ramener au moins un article relatant un accident dans les 5 premières réponses. Je l’ai d’ailleurs fait souvent ces dernières semaines car je sais qu’un jour ou l’autre je monterai là-haut. J’ai étudié un parcours qui enchaîne la Dent de Lys et le Vanil Blanc. Le topo explique qu’un passage très délicat s’effectue sur une forte pente herbeuse, exposée sur 20m environ à une profonde et large ravine. Pas pour moi aujourd’hui… Il est encore tôt dans la saison et les pentes herbeuses restent humides. Celle-ci est orientée plein Ouest ce qui l’empêche de sécher au soleil du matin.
J’avale un petit déjeuner sans conviction. Mon sac est prêt. De toute façon je ne serai jamais loin et je peux faire demi tour quand je veux.
Je me retrouve dans la voiture sans y penser et je monte aux Paccots de la même manière. Départ de Borbuintze, un peu au radar. Je lance ma montre. Ah non, je l’ai oubliée… Tant pis pour la collection de traces. Le geek qui sommeille en moi ne s’est pas réveillé aujourd’hui. Histoire de ne pas le déranger, je pique un petit roupillon en marchant. Après tout je suis assez passé là en ski pour que mes semelles arrivent au moins jusqu’au Pralet toutes seules.

Incisive
Le chemin facile s’arrête au pied de la montée vers le Col de Lys. La sente si évidente m’échappe et me voilà parti le long de la courbe de niveau, histoire de prolonger ma sieste, persuadé que je retrouverai le chemin au hasard d’un zig-zag. Pourtant depuis Teysachaud je devrais savoir que dans le coin, on ne s’embarrasse pas trop avec les virages, spécialement quand la pente s’accentue.
Plus haut, plus au Sud, je reconnais des personnes qui étaient derrière moi tout à l’heure… Je regarde le col. Je lui tourne presque le dos… Ma boussole intérieure s’illumine tout soudain. Il s’agit de faire un demi tour façon « conversion », de prendre un air dégagé et de rejoindre la bonne trace !!!

Le col cède la place à la crête. Devant moi se dresse la Dent de Lys. Sous cet angle elle efface le Grand Sex et le Vanil Blanc. Elle paraît dominer le paysage. Je sors mon mélange « spécial randonnée » pour reprendre quelques forces. J’attrape le paquet à l’envers, les raisins secs et les noisettes tombent sur mes chaussures… Je suis un peu tendu. Tout devient « un signe », et forcément mauvais.

Canine
Du regard j’essaye de deviner les pièges. Où est-elle dangereuse ? Je sais que plus loin il y a un passage équipé d’une chaine pour aider à franchir un ressaut rocheux. Il y a du monde. Des gens qui discutent, des gens assis, des gens qui attendent. Je reprends ma marche.
Le sentier quitte la crête pour aller butter plus bas sur ce fameux ressaut et se transforme en pente raide sur de la caillasse pourrie. J’accroche mes bâtons au sac. Profitant d’une faiblesse de la roche la fameuse chaine escalade l’épaule de calcaire. Je l’agrippe des deux mains et j’entreprends l’escalade.

Dent de sagesse
Derrière moi, de nouveaux groupes sont arrivés du Col de Lys. Je regarde mes chaussures. Je regarde le parcours effectué depuis que j’ai quitté le chemin. Je me bloque. Comment vais-je redescendre tout-à-l’heure ? Le trajet inverse, face au vide me parait impossible. Je ne peux pas monter. Ou plutôt, je peux monter mais je ne pourrai pas redescendre. Je repars en arrière. Prudemment je pose mes pieds là où je les ai posés en montant. En quelques secondes je suis revenu sur le sentier. Je me hisse jusqu’à la crête. Je m’arrête et je regarde la dent. Pour aujourd’hui son sommet me restera étranger.

Conclusion
Je ne regrette en rien d’avoir fait demi-tour. La Dent de Lys m’attendra. j’y retournerai un autre jour, elle est à côté. C’est certainement son plus gros défaut et ce qui la rend aussi meurtrière. Elle est accessible en moins de 2 heures pour un marcheur moyen, ce qui donne l’illusion qu’on peut en faire une balade de fin de repas, mais elle reste classée T4. L’exposition finale est réelle et une glissade ne pourra pas se rattraper.
Ajout du 21 octobre : Voilà, j’y suis monté. Non mais…
Complément culturel : Le blues du dentiste