Noir c’est noir

Ça y est, c’est le week-end. Toute la semaine j’ai réfléchi à un objectif me permettant de restaurer les points de confiance perdus à la Dent de Lys le dimanche précédent. J’ai bien étudié le topo et même si le final est aérien, ça sera le Vanil Noir. Si tout se passe bien j’enchaînerai même avec le Vanil de l’Ecri, histoire de voir comment c’est de faire deux ascensions. Ça nous arrivera souvent sur le TMB. Physiquement et moralement, ça pique un peu !

Le Vanil Noir est le plus haut sommet du canton de Fribourg. Il marque la frontière avec le canton de Vaud. C’est une sortie avec des passages aériens, en particulier le fameux Pas de la Borière.

Le temps est superbe et me voilà parti en direction du parking de Bounavaux.

Le bouquetin de fer

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Bouquetin de Bounavaux

La montée vers la cabane de Bounavaux est assez tranquille et agréable. Une bonne mise en jambe pour la suite. Je contourne la terrasse en laissant mon tribut aux orties locaux. La suite vers Bounavaletta n’est pas plus difficile. Voilà 500 D+ gagnés aisément !

Pour le Col de Bounavaletta, ça se corse un peu. Il y a 200 D+ à prendre. Le sentier ne s’embarrasse pas à faire des détours et c’est droit dans flanc du vallon qu’il m’amène à la fin de l’itinéraire marqué en rouge et blanc. Au col commence l’itinéraire alpin.

Point de non retour

Après quelques mètres, l’herbe se raréfie et le chemin se fait minéral. Le souvenir de la Dent de Lys me revient brièvement mais il disparaît vite.

Montée au dessus du Col de Bounavaletta – Au fond, Cape au Moine, le Vanil des Artses, la Dent de Lys, le Grand Sex, le Vanil Blanc, Teysachaud, Le Moléson

La pente est devenue sévère et je dois me concentrer. J’ai rangé mes bâtons car je dois m’aider de mes mains sur certains passages. Les strates rocheuses forment des obstacles plus ou moins délicats à franchir. Je me dis qu’il faut absolument que je réussisse car une descente par cet itinéraire serait acrobatique… La pente fini par s’adoucir et ma progression s’accélère. Je me retrouve sur la crête, face au vallon des Morteys. J’ai prévu de suivre l’arrête jusqu’à la Tête de l’Herbette. Quelques personnes m’ont devancé. Je suis circonspect devant l’exposition de ce passage mais j’y vais.

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Franchissement de l’arrête au dessus du Col de bounavaletta

C’est un hachoir de strates rocheuses. Avancer me demande beaucoup d’efforts et une concentration extrême. Je suis côté Est. Une petite cheminée rejoint le fil de l’arrête. Je monte confiant et me penche par dessus la crête. C’est le vide absolu. 400 mètres de chute libre vers le Plan des Eaux. Je reste immobile avec la sensation que le massif bouge sous mes pieds. Je me cale entre deux blocs. Plus loin, un groupe avance. Mes pensées se bousculent un peu. Je ne peux pas faire demi tour. Pas maintenant. Je suis proche du sommet, j’ai déjà fait pas mal de chemin sur ce rasoir. Je bois une gorgée d’eau qui passe difficilement.

Entre moi et moi

Je progresse très lentement. À droite c’est un à-pic pratiquement vertical. Je regarde autour de moi. En dessous, un sentier traverse les derniers névés. Deux personnes marchent tranquillement. Je me souviens soudain que le passage par la crête est une option du parcours. Elle est classée T5 et je comprends pourquoi. Il me faut trouver le moyen de rejoindre le sentier sans trop revenir en arrière. Gonflé par l’espoir de pouvoir ajouter la croix du Vanil Noir à ma collection, je descends, sans style et sans prétention, mais je descends. Je ne sais pas combien de temps cela me prend car juste avant j’ai mis ma montre sur pause pour réfléchir à la meilleure solution sans me mettre la pression du chrono. Je ne pense à la relancer qu’une fois sur le sentier. Dans ma tête, une éternité s’est écoulée.

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Vallon des Morteys

Une accalmie trompeuse

Content du repos que je viens de gagner, je profite de la vue sur le magnifique vallon des Morteys niché au cœur de la réserve naturelle du Vanil Noir. Bordé au Nord Ouest par l’arrête de Galère où trônent les Dents de Folliéran et de Brenleire, et au Sud Est par les Rochers des Tours dominés par la Tour de Doréna et la Dent des Bimis, c’est un endroit de nature préservée et sauvage. Au loin on aperçoit la chaîne des Gastlosen avec la Dent de Savigny et la Dent de Ruth bien en évidence. Je pourrais contempler ce paysage pendant des heures mais mon objectif est le sommet. Là-haut je m’accorderai une pause !

Cela dit, je n’y suis pas encore. À la sortie des éboulis, je dois monter sur un épaulement qui me permettra d’accéder au Pas de la Borière. J’emprunte un petit couloir terreux qui ne doit être praticable que par temps bien sec. Un câble aide au passage. Le sentier lézarde ensuite à flanc d’arrête, faisant croire au naïf que je suis que les difficultés sont derrière lui.

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Cheminée sans feu

Soudain la trace bifurque et monte à la verticale dans une cheminée. À peine le temps de me retourner pour une photo, faire quelques pas et un câble apparaît. Il suit tranquillement le rocher, à plat sur quelques mètres et d’un coup plonge dans le vide de la face Nord Ouest. Je le vois qui ressort de la faille, en face de moi, l’air de rien.

Un petit pas pour l’humanité…

Le Pas de la Borière. Dit comme ça on dirait du Béjart. C’est effectivement vertigineux, mais au sens propre du terme. Il s’agit d’une faille qui coupe la crête avant l’arrivée au sommet du Vanil Noir. Le sentier, particulièrement étroit et inconfortable au moment où il faut se lancer, s’interrompt et laisse le randonneur se débrouiller seul pour faire un pas dans… le vide ! Bien entendu, la pente de chaque côté est maximale.

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L’arrivée sur le Pas de la Borière, vue de l’autre côté

Je regarde le câble qu’il faut attraper en face en me demandant si c’est un gag ! À gauche et à droite il y a 500 mètres de gaz, je dois faire un grand pas au dessus du vide en partant d’une margelle qui ne laisse la place que pour un pied et je n’ai aucune idée de la qualité du sol de l’autre côté… Je descends prudemment les quelques marches quasiment verticales. Mon sac me pousse un peu vers l’avant. Mon pied gauche est sur la dernière aspérité avant le saut. J’arrête de réfléchir et je passe pour me retrouver pendant une seconde en train de faire le grand écart entre deux montagnes. J’attrape le câble. Mes deux chaussures se rejoignent. Je suis passé.

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Le Pas de La Borière, vu de dessus

Deuxième croix !

Le final est d’un contraste saisissant ! Après quelques mètres de roche bien solide, on retrouve le sentier calé dans l’herbe. Une ancienne trace part sur le flanc Est mais elle a été considérée comme trop dangereuse et il faut désormais suivre la crête. Il s’agit d’ailleurs plus d’un dos herbeux et la montée s’en trouve presque reposante. Un dernier effort et me voilà à la croix. Le groupe qui le précédait est arrivé il y a quelques instants et deux personnes écrivent un mot dans le carnet.

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Croix du Vanil Noir

Je pose mon sac, enfile une veste. Je me pose sur l’herbe. Je suis au sommet du Vanil Noir. Autour de moi, La Gruyère. C’est beau.

Une des personnes arrivées avant moi nous décrit le paysage. C’est comme parcourir un guide touristique du canton de Fribourg avec la réalité à la place des photos ! Les noms fameux se succèdent. J’irai en visiter quelques-uns plus tard. Le Vanil Noir est planté à l’extrémité du vallon des Morteys comme s’il avait tracé un sillage de célébrités alpines. Plus loin, ce sillage s’élargit sur les Gastlosen. La sérénité de ce paysage masque la violence qui l’a façonné. Encore nous ne voyons que ce que l’érosion nous a laissé. Je prends conscience que je suis devant une nature vivante et en mouvement. Pas à l’échelle humaine c’est sûr, mais rien n’est figé ici.

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Vallon des Morteys – À gauche : l’arrête d’arrivée, la Dent de Folliéran. À droite : les rochers des Tours. Au fond : les Gastlosen

Le même joueur joue encore…

Après cette pause je me prépare à la deuxième partie de ma sortie. J’ai attendu que les premiers arrivants décollent car j’ai un petit doute sur le départ du sentier. Disons que les surprises de ce matin m’ont un peu échaudé. De plus, depuis le sommet on voit le sentier partir, puis plus rien jusqu’à ce qu’il apparaisse 150 mètres plus bas. Je sais par le topo que j’ai consulté que le départ se fait presque verticalement rien de plus rassurant !

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La croix du Vanil Noir vue du début de la descente

Heureusement tout a l’air de bien se passer pour eux car ils apparaissent en dessous au bout de quelques minutes ! J’entame la descente. Effectivement, le départ est un peu raide. Rien de vraiment terrible néanmoins et la trace, bien marquée, rejoint rapidement la courbe de niveau. Un dernier coup d’œil vers le sommet du Vanil Noir, puis vers mon objectif suivant. Il s’agit du Vanil de L’Écri et sa très belle croix ! Deux dans la même journée oui oui !!

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Le Vanil de L’Écri depuis le sentier de descente, équipé de sa chaine…
La descente se poursuit en douceur. Je suis content de retrouver cette terre stable et rassurante après les péripéties du matin. Tout de même étonnant cette chaîne qui vient sécuriser ce chemin qui paraît si facile…

J’arrive tranquillement à Plan des Eaux, le col situé entre les deux Vanils.

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Col de Bounavaletta – Tête de L’Herbette – Pas de la Borière – Vanil Noir avec le sentier de descente dans la face Sud Est

Coup double

La montée à L’Écri est reposante. Quelques névés subsistent. Parfois le sentier disparaît mais l’objectif est évident. Le dénivelé est contenu puisque j’ai fait environ 150 D- pour descendre du Vanil Noir et que le Vanil de L’Écri n’est qu’une quinzaine de mètres moins élevé. La récompense dépasse l’effort tant La croix est belle. Les pavés de verre du motif central jouent avec le soleil. Le temps de faire quelques photos, de laisser un mot dans le carnet et je repars. Mine de rien, je totalise presque 1300 D+ et je commence à les sentir. Il m’en reste presque autant à descendre !!IMG_0065

Version 2
Vue Nord Ouest depuis le Vanil de L’Écri

Après avoir mangé quelques noisettes, je rejoins Plan des Eaux. Je suis déjà bien descendu dans le pierrier quand un groupe de personne attire mon attention vers une épaule rocheuse au dessus de nous. Un groupe de bouquetins nous surveille, histoire de voir que nous quittons bien leur territoire ! Après une descente un peu longue et sans gros intérêt vers Bounavaletta, je retrouve le chemin de ce matin. Encore quelques dizaines de minutes et ma sortie au Vanil Noir sera bouclée sur un succés !

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Col de Bounavaletta – Tête de L’Herbette – Pas de la Borière

Conclusion

C’est un itinéraire magnifique mais il se mérite. L’exposition sur le dernier tiers de l’ascension, ainsi que sur la face Sud Est du Vanil Noir est bien réelle. Le Pas de la Borière n’est pas pour les gens sujet au vertige. Selon moi, ce n’est pas non plus une balade familiale à faire avec de jeunes enfants. Mais si tu supportes le vide et que tu as le pied sûr, il faut y aller !

Vanil Noir
Itinéraire

2 réflexions sur “Noir c’est noir

  1. Arkette Gerber

    Oh mais c’est super dur ce que tu fais. En tout cas, maintenant que tu as les pieds sous ton bureau c’est plus cool !

    Tu aimes bien te faire peur ? car c’est super impressionnant ces parcours.

    Allez j’attends le prochain. Bisous fils chéri

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  2. gerber

    Chaque fois que je lis une nouvelle aventure je reste étonnée par la simplicité de ton écriture et j’ai envie que le texte continue encore…. Merci pour les images aussi belles à couper le souffle. tu sais Donnais une note et un goût d’y aller….

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